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| From | "contracorriente" <vallseca@arrakis.es> |
| Date | Thu, 10 May 2001 07:45:09 +0200 |
| Subject | globe_l: Symptôme kabyle, mal algérien |
Contracorriente:
vallseca@arrakis.esCOMUNISTES de CATALUNYA diffuse de Al Oukok: mailto:aloufok@yahoo.fr
Opinion :
Symptôme kabyle,
mal algérien
par Tassadit
Yacine
LA violence des
dernières semaines en Kabylie est le résultat de la politique d'une classe
dirigeante décidée à perpétuer son pouvoir par tous les moyens sans tenir compte
de l'appauvrissement et de la déstructuration du pays, qui le vident de ses
énergies humaines et de ses ressources.
Les manifestations de
la jeunesse kabyle ont mis l'accent non plus sur la seule dimension identitaire
et linguistique mais sur la gangrène sociale rongeant toute l'Algérie (chômage,
logement, corruption, mépris de la vie humaine, etc.). Et elles ont poussé le
pouvoir à se démasquer, face à une déliquescence généralisée. La population de
cette région, très sensible à la revendication démocratique du fait d'un déni
culturel entretenu par le régime, a pourtant toujours su rester à l'écart aussi
bien du pouvoir central que des intégristes. Et cela malgré les manipulations de
certains groupes politiques "démocrates" instrumentalisés par le pouvoir qui
n'ont de cesse, depuis 1989, de chercher à diviser la
population.
Mais la jeunesse a su
se démarquer de ces groupes marginalisés et impuissants devant le malheur, et du
désespoir des laissés-pour-compte. La violence inouïe de la répression a visé à
faire passer au second plan les véritables problèmes qui laminent le pays et
tout particulièrement les droits du citoyen, supposés garantis par la
Constitution, purement et simplement bafoués au mépris de toute dignité humaine.
La politique menée par Alger a consisté jusque-là à gagner du temps en
multipliant les manipulations de toutes sortes pour "éradiquer" toute opposition
démocratique crédible et maintenir un seuil de violence "acceptable", évitant
ainsi de résoudre les problèmes sociaux. Cette gestion du quotidien au coup par
coup n'a qu'une constante : pérenniser les privilèges et la sécurité de
l'oligarchie au pouvoir.
Le démantèlement du
secteur public, la confiscation du patrimoine national, renforcés par les effets
de la mondialisation, ont conduit le pays à une paupérisation sans
précédent.
Cette classe
dirigeante qui campe sur la rente est loin des réalités. Elle ne doit son
existence qu'à l'appui de forces de répression et d'intérêts extérieurs. La
présence outrageante de ces mêmes forces est justifiée par l'épouvantail
intégriste réel largement entretenu par le pouvoir.
Le retour d'anciens
caciques de l'ex-parti unique constitue-t-il un remake d'une nomenklatura arrogante, méprisante et
assurée d'impunité ? L'Algérie n'est-elle pas au tournant de son
histoire ? N'est-elle pas sommée de se définir devant l'irresponsabilité
d'une classe dirigeante accusée de crimes et d'assassinats par beaucoup de
nations, comme l'a montré la récente mise en cause, en France, du général Khaled
Nezzar, l'un des anciens piliers du système algérien ?
L'indignation des
intellectuels en France devant le bain de sang en Algérie a déjà largement
témoigné de la gravité de la situation et de l'opacité entretenue par le régime.
Aujourd'hui, comment pourrait-on encore justifier l'inaction de l'armée, cette
"colonne vertébrale de la nation"
selon certains, lors des massacres de la population (Bentalha,
Béni-Messous et Relizane), alors qu'elle n'a pas hésité à réprimer de jeunes
manifestants revendiquant les droits les plus élémentaires de la personne (droit
au travail, au logement, à la liberté d'expression, et à la pratique de sa
langue) ?
On aurait attendu du
président de la République algérienne un engagement clair quant au devenir de la
jeunesse. Mais sa réponse a été, encore une fois, un discours creux et
démagogique, rappelant étrangement les slogans passéistes du parti unique.
Parlant dans un arabe ancien châtié incompris de la majorité des Algériens, le
président a affirmé des positions de principe sans portée réelle. L'instauration
d'une commission d'enquête libre ? Il faut s'interroger, lorsqu'on connaît
l'attitude d'Alger à propos de toute enquête sur les massacres ou les
assassinats de personnalités du champ politique ou
intellectuel.
Il n'y avait pas la
moindre compassion dans ce discours, le simple rappel du lourd tribut payé par
la Kabylie lors de la guerre de libération assorti de l'éloge de son apport à la
lutte nationale. Mais une totale dénégation des revendications
principales : la fin de la "malvie" et un statut pour le Kabyle. Il y a à
peine quelques mois, lors de meetings en Kabylie et au Canada, Bouteflika avait
déjà affirmé son hostilité linguistique et son soutien à la seule langue
officielle, blessant profondément nombre de citoyens.
Ces émeutes ont permis
de révéler au grand jour la réalité du régime qui a affronté une résistance à
visage découvert exprimant la même désespérance que l'Intifada palestinienne.
Cette crise partie de Kabylie traduit un malaise commun à l'ensemble de la
nation. Son extension amènerait, à coup sûr, la fin d'un régime aux
abois.
Tassadit
Yacine est maître de conférences à l'Ecole des hautes études en sciences
sociales, chercheuse au Laboratoire d'anthropologie sociale, directrice de la
revue "Awal. Cahiers d'études berbères".
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