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From Alessandro Ludovico <a.ludovico@neural.it>
Date Wed, 11 Dec 2002 20:38:29 +0100
Subject [hackmeeting] articolo hackmeeting Le Monde


Hacker attitude
Jeudi 24 octobre 2002

Stéphane Mandard

Dans toute l'Europe, les hackers organisent de grands rassemblements 
pour faire la démonstration qu'ils ne sont pas des pirates 
informatiques mais des militants du Réseau. Retour sur l'expérience 
italienne.
BOLOGNE, de notre envoyé spécial

De grandes planches en Formica jetées à la hâte sur des tréteaux 
soutiennent péniblement des centaines ordinateurs. Des câbles 
descendent du plafond et courent sur le sol entre les boîtes à pizzas 
et les sacs de couchage. Des ventilateurs à bout de souffle 
rafraîchissent à peine une atmosphère suffocante. Sur les écrans, les 
lignes de codes défilent. Les joints passent de main en main. Et dans 
les têtes, résonnent les notes de musique électronique que crachent 
sans discontinuer des enceintes surpuissantes. Malgré l'heure avancée 
dans la nuit, plus de 200 mordus d'informatique, torse nu ou en 
T-shirt, la vingtaine à peine atteinte ou tout juste dépassée, 
continuent à pianoter avec frénésie sur leur clavier. Au début de 
l'été, toute l'Italie de la contre-culture digitale, soit environ 3 
000 personnes, s'est retrouv&#! 233;e au Teatro Polivalente Occupato 
(TPO) de Bologne pour son cinquième "Hackmeeting". Trois jours et 
deux nuits pour mettre en pratique son leitmotiv : "Le hacking est 
une attitude".

A l'étage de cet ancien entrepôt transformé en centre socio-culturel 
autogéré et aux façades de béton couvertes de tags, les autisti 
(autistes) - comme se surnomment eux-mêmes les fous de programmation 
- échangent dans la joie tuyaux informatiques et logiciels. Les plus 
fatigués, eux, essaient tant bien que mal de se reposer sur des 
duvets couchés à même le sol dans une pièce légèrement à l'écart. Au 
rez-de-chaussée, l'ambiance est plus explosive. Dans une salle 
obscure, qui fait habituellement office de cinéma, une assistance 
nourrie applaudit à tout rompre la diatribe du New-Yorkais Richard 
Stallman, professeur au Massachusetts Institute of Technologie (MIT) 
et gourou du logiciel "libre" - de droits de reproduction et de 
distribution - contre la firme de Bill Gates. "Il faut combattre 
Microsoft dans le monde entier ! Lutter pour le logiciel libr! e, 
c'est lutter pour ses libertés !", lance le fondateur de la Free 
Software Foundation, barbe et cheveux hirsutes, avant de s'en prendre 
avec le même succès au président des Etats-Unis, accusé de brader les 
droits de l'homme au nom de la lutte contre le terrorisme.

Plus tôt, à la place du professeur, c'est un jeune homme, crâne rasé, 
T-shirt et bermuda noirs (l'uniforme de rigueur du hacker italien) 
qui donne le cours à une centaine de ses condisciples. Au programme: 
Linux, le plus célèbre des logiciels libres. "Nous ne sommes pas des 
"nerds" ni de dangereux pirates qui pénètrent des systèmes pour les 
détruire ou récupérer des informations top secrètes", précise 
"Maddler" - qui comme la plupart des membres de la communauté hacker 
répond à un pseudonyme - pour tordre le coup à un "cliché" qu'il juge 
tenace dans les "mass media". "Le hacking est une éthique basée sur 
le partage des connaissances", tente de définir ce Romain de 30 ans, 
programmeur free-lance et membre actif d'Isole nella Rete (des îles 
sur le Net), principal réseau alternatif italien qui relie depuis ! 
1996 les nombreux "centres sociaux" - squats issus des mouvements 
autogestionnaire et anarchiste - de la péninsule.

Dehors, la chaleur caniculaire de l'après-midi n'est pas retombée. 
"Blicero", même T-shirt et bermuda noirs que son acolyte mais cheveux 
beaucoup plus longs, se retrouve malgré lui propulsé dans la piscine 
- la même que dans Loft Story, la caméra, Loana et Jean-Edouard en 
moins - devenue avec le bar (1,50 ¤ le demi) l'endroit le plus prisé 
pour se rafraîchir le corps comme les idées. Blicero est ici comme un 
poisson dans l'eau. A 26 ans, le Milanais n'a manqué aucun 
"hackmeeting" depuis l'organisation de la première édition à Florence 
en 1998. "Contrairement à l'Allemagne ou aux Etats-Unis, les 
rencontres de hackers italiens sont davantage politiques que 
techniques, explique le jeune homme qui définit le hacker comme "une 
personne qui veut comprendre les mécanismes qui régissent le monde 
pour les déconstruire et les reconstruire dans l! e sens du progrès 
social". Et, selon lui, c'est d'abord sur la communication et ses 
technologies, parce qu'elles "forment la pensée des gens", qu'il faut 
"interagir" pour "lutter contre le capital et l'Etat". Cette analyse 
toute théorique, il essaie de la mettre en pratique au sein du Loa 
Hacklab de Milan, un de scs laboratoires d'"informatique antagoniste" 
propres à l'Italie et installés dans une dizaine de centres sociaux à 
Turin, Rome ou Florence pour prolonger l'élan et l'esprit des 
hackmeetings.

Avec le Loa Hacklab, Blicero nourrit de nombreuses ambitions. Il 
dispense des cours d'informatique "pour que les technologies puissent 
être maîtrisées et détournées de leurs usages commerciaux par le plus 
grand nombre" et mène des campagnes publiques pour "le libre accès et 
la libre circulation des savoirs". La dernière en date : le collage à 
grande échelle, sur les livres, disques et autres cédéroms, de 
fac-similé des timbres fiscaux de la Société italienne des auteurs et 
des éditeurs - qui doivent être apposés sur tous les produits 
culturels, y compris les logiciels libres ! - pour protester contre 
le droit "de la mafia des auteurs" et clamer haut et fort que "le 
savoir est un bien collectif!".

Comme la plupart des hackers, Blicero travaille "le moins possible", 
comme webmestre, "pour manger et [se] payer des voyages". Son ami 
romain "Graffio", la quarantaine, profite de la rencontre pour faire 
le tour de la communauté et collecter du matériel informatique qu'il 
a emmené, en août, au Chiapas, pour y installer un hacklab dans une 
école zapatiste. Blicero, lui, a mis le cap sur Bethléem, avec la 
section italienne d'Indymedia (réseau d'information alternatif, 
international et en ligne qui, depuis le contre-sommet de Seattle en 
décembre 1999, sert de courroie de transmission au mouvement 
antimondialisation libérale), pour d'aider à la construction d'un 
"IMC" (Independant media center) en Palestine. "L'objectif est de 
favoriser la communication entre les Palestiniens, les réfugiés et la 
communauté internationale et de renforcer les relations avec! 
Indymedia Israel dont les membres sont considérés comme des traîtres 
par leur propre famille", explique le hacker, qui s'était déjà rendu 
en Palestine, en avril dernier, avec des pacifistes européens, pour 
protester contre le siège de Ramallah et de Bethléem par l'armée 
israélienne.

Sous le porche du TPO, un mur d'écrans de télévision projette des 
images saccadées : les territoires occupés, Tsahal et ses chars, 
Sharon, Bush, Berlusconi, les manifestations contre le sommet du G8 à 
Gênes, les coups de matraque des carabiniers et Carlo Giuliani, mort, 
allongé dans une flaque de sang. C'était le 20 juillet 2001."Blutaz" 
et "Rator", deux gaillards d'une vingtaine d'années qui vendent des 
T-shirts d'Indymedia floqués du mot d'ordre "Don't hate the media, 
become the media!" (Ne haïssez pas les medias, devenez les medias !), 
parce qu'il faut bien financer le matériel, étaient au premier rang 
avec appareils photos et caméras numériques au poing. "Nous ne sommes 
pas des journalistes mais des media activists [militants de 
l'information] car notre engagement n'est pas professionnel mais 
politique", expliquent les ! deux compères. Ils estiment participer à 
la "seule expérience de gestion horizontale de l'information", 
Indymedia ayant la particularité de fonctionner - à l'instar des 
logiciels libres dont les codes sources peuvent être modifiés par 
quiconque - selon un modèle de publication ouvert à toute 
contribution. Un principe qui a ses vertus mais montre aussi ses 
limites : depuis le début de la deuxième Intifada, le site français 
d'Indymedia a laissé passer des textes à caractère antisémite.

De Gênes, Blutaz et Rator ont ramené plusieurs heures de vidéos 
qu'ils ont montées sur le site d'Indymedia Italie. Mais, en février 
dernier, les carabiniers ont perquisitionné le TPO - qui héberge les 
media activists bolognais - et saisi disques durs et archives. "Le 
gouvernement a voulu organiser une perquisition médiatique pour 
intimider le mouvement social en général", interprète Federico, la 
trentaine et l'un des rares participants du hackmeeting à ne porter 
ni pseudonyme, ni T-shirt noir. Federico est avocat, spécialisé dans 
le droit des nouvelles technologies. Il est venu de Florence - où se 
tiendra en novembre prochain le premier Forum social européen - 
assister au séminaire sur les cyberdroits. Quand il ne travaille pas, 
Federico, 31 ans, prend sa caméra pour Indymedia. A Porto Alegre en 
février dernier, à Gênes il y a un an, le militant met ! son oeil au 
service de la cause antilibérale. Le film qu'il a réalisé sur Gênes 
est sorti en septembre dans une centaine de salles italiennes. "Les 
gens normaux doivent voir ce qui s'est passé", exhorte le cinéaste 
amateur.

Depuis juillet 2001 et la mise à sac de la salle de presse qu'ils 
avaient installée dans une école du centre de la capitale ligure pour 
couvrir le contre-sommet du G8, les media activists italiens sont 
dans le collimateur du ministre de l'intérieur, Claudio Scajola. 
"Pendant le G8, des milliers d'internautes ont participé à une 
Netstrike [NDLR : attaque virtuelle qui consiste à saturer un serveur 
en le bombardant de courriels] contre les sites du FMI et de la 
Banque mondiale, rappelle Federico. Aujourd'hui, deux personnes, 
prises au hasard, sont poursuivies par la justice italienne". Et 
l'avocat de poursuivre : "Depuis le 11 septembre, l'Union européenne 
s'est alignée sur les Etats-Unis pour adopter une législation très 
répressive à l'égard de toutes les formes de dissidence et en 
particulier du mouvement social. En Italie, par exem! ple, les juges 
peuvent désormais s'appuyer sur une nouvelle loi du code pénal qui 
condamne les "interventions illicites de communication électronique" 
pour poursuivre les auteurs de Netstrike qui ne font pourtant rien de 
plus répréhensible que des manifestants défilant dans la rue !"

Pour éviter les problèmes avec la justice, Raffaella, rare - mais pas 
unique - femme dans l'univers très masculin de la communauté hacker, 
a peut-être trouvé la parade : le boycott électronique. Devant une 
foule attentive, T-shirt frappé "unhackable" sur la poitrine, la 
Romaine explique, passablement intimidée et assistée de son 
ordinateur portable, le concept qu'elle développe - depuis son retour 
en avril de Palestine - via une liste de diffusion regroupant une 
cinquantaine de personnes. Et qu'elle entend mettre en pratique 
contre une première cible : Israël. "Ni le gouvernement italien ni 
l'Union européenne ne veulent faire d'embargo contre un Etat qui en 
occupe un autre, nous avons donc décidé de le faire à notre niveau en 
utilisant Internet. En cherchant sur le Web, nous avons identifié un 
objectif précis : Gilat, la multinationale leader de l! a nouvelle 
économie israélienne, côtée au Nasdaq et au chiffre d'affaires annuel 
de 600 millions d'euros. Nous avons surtout découvert que Tiscali, le 
principal fournisseur d'accès à Internet d'Italie, dont toute la 
communication tourne autour des valeurs de paix et de liberté, est 
son principal partenaire commercial européen. Nous avons donc décidé 
de le menacer de boycott s'il ne cesse pas sa collaboration avec 
Gilat". Raffaella, qui ne cache pas sa difficulté à concilier son 
emploi dans une grande banque et son engagement militant, compte sur 
Internet pour démultiplier l'appel. "Grâce au Web, chacun a la 
faculté de se transformer en agent de diffusion virale, dans sa 
famille, ses cercles d'amis ou ses réseaux professionnels". Une 
pétition adressée au PDG de la firme italienne est aujourd'hui prête 
à l'envoi.

A quelques pas de là, à l'ombre d'un arbre, un petit groupe de 
Barcelonais qui a préféré gagner Bologne plutôt que de se fondre aux 
dizaines de milliers de militants partis manifester à Séville contre 
le sommet de l'Union européenne, ne regrette pas son choix. "C'est 
vraiment fantastique ici, s'enthousiasme l'un d'eux, on a beaucoup 
appris de nos échanges avec les hackers italiens : ils ont plusieurs 
longueurs d'avance sur nous". Début octobre, ils ont organisé, à 
Madrid, leur propre hackmeeting. Leurs homologues français devraient 
en faire de même fin décembre.

Stéphane Mandard
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Alessandro Ludovico
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